Dans les griffes du lion            Page 5 sur 5
par Serge Marc
 

CHAPITRE 2,
fin


La pluie a cessé de tomber. Je suis incapable d'apprécier l'âge du vieillard. Je devine simplement qu'il s'est écoulé beaucoup de temps depuis sa naissance et j'en suis troublé. Quatre-vingts, quatre-vingt-dix ans peut-être, sinon plus. Il est vêtu d'un costume trois-pièces jaune paille démodé et porte également des guêtres et un canotier jaune d'une autre époque. Ses longs cheveux bouffants sont peignés en arrière et font penser à une crinière. Avec son front bas et son nez en forme de mufle, on dirait un vieux lion albinos. Dos au vide, tranquillement, il jette un regard circulaire et dédaigneux autour de lui. Boubak égrène machinalement son collier. À cette vision, le vieillard se fige et ses traits se durcissent. Puis il lâche la barre à laquelle il se tenait. Ce vieux bonhomme tombé de la lune me fiche les boules. Je n'ai jamais été aussi mal à l'aise de ma vie. Tandis que Boubak continue à triturer son collier, je cherche à me donner une contenance en me raclant la gorge et en toussotant. Le vieux marche en s'aidant d'une canne. Malgré sa lenteur, on sent bouillonner en lui une énergie énorme. À présent il est devant nous.

- Tu es l'arrière-petit-fils d'Augustino Kohomlan Déyélé de Ouida au Bénin, dit-il d'une voix rocailleuse à Boubak. Je ne peux pas me tromper.

Puis il retrousse les lèvres et persifle entre ses dents avec une telle agressivité que je m'attends à le voir bondir sur Boubak !

- Le collier que tu portes au cou, donne-le-moi, poursuit tranquillement le vieil homme. Sinon...

Boubakar l'interrompt en souriant.

- Vous me confondez avec un autre, Monsieur, rectifie-t-il calmement. Mon arrière-grand-père ne s'appelait pas Augustino Kohomlan Déyélé et il n'était pas de Ouida au Bénin. Il s'appelait Mamadou Diaby, continue-t-il, et il était de Bamako au Mali.
- Je sais reconnaître la descendance d'Augustino Kohomlan Déyélé, dit l'homme. Ton arrière-grand-père me fuyait. Sans doute a-t-il changé de nom et pris de nouvelles épouses, mais je sais reconnaître un arbre à ses fruits. Puis il retrousse à nouveau les lèvres et émet le même ksss agressif.
- Nous sommes du même village, poursuit-il. Mais Si tu ne veux pas me rendre ce collier, garde-le. Je ne le prendrai pas par la force.

Puis, sèchement, il dit à Virginie :

- Madembiselle. Votre sac. Je veux m'asseoir.

Virginie retire son sac avec empressement et le pose sur ses genoux. Puis l'homme s'installe en face de Boubak et ne prononce plus un seul mot. Virginie et moi nous nous regardons en silence. S'il ne veut pas le prendre par la force, comment va-t-il faire alors ? Et puis qu'est-ce qu'il veut dire quand il affirme qu'il est du même village que l'arrière-grand-père de Boubak?

-----
Cette histoire a été publiée intégralement dans le numéro 34 de la revue Les Aventuriers (Janvier 2001) par les éditions Milan.
-----

Recommencer
(vers la page 1 sur 5)

...

© Copyright 2000 Serge Marc
Ecrire à Claude


(Page d'accueil de Claude et ses amis)