CHAPITRE
2,
fin
La
pluie a cessé de tomber. Je suis incapable d'apprécier l'âge du
vieillard. Je devine simplement qu'il s'est écoulé beaucoup de
temps depuis sa naissance et j'en suis troublé. Quatre-vingts,
quatre-vingt-dix ans peut-être, sinon plus. Il est vêtu d'un costume
trois-pièces jaune paille démodé et porte également des guêtres
et un canotier jaune d'une autre époque. Ses longs cheveux bouffants
sont peignés en arrière et font penser à une crinière. Avec son
front bas et son nez en forme de mufle, on dirait un vieux lion
albinos. Dos au vide, tranquillement, il jette un regard circulaire
et dédaigneux autour de lui. Boubak égrène machinalement son collier.
À cette vision, le vieillard se fige et ses traits se durcissent.
Puis il lâche la barre à laquelle il se tenait. Ce vieux bonhomme
tombé de la lune me fiche les boules. Je n'ai jamais été aussi
mal à l'aise de ma vie. Tandis que Boubak continue à triturer
son collier, je cherche à me donner une contenance en me raclant
la gorge et en toussotant. Le vieux marche en s'aidant d'une canne.
Malgré sa lenteur, on sent bouillonner en lui une énergie énorme.
À présent il est devant nous.
- Tu es l'arrière-petit-fils
d'Augustino Kohomlan Déyélé de Ouida au Bénin, dit-il d'une voix
rocailleuse à Boubak. Je ne peux pas me tromper.
Puis il retrousse les lèvres et
persifle entre ses dents avec une telle agressivité que je m'attends
à le voir bondir sur Boubak !
- Le collier
que tu portes au cou, donne-le-moi, poursuit tranquillement le
vieil homme. Sinon...
Boubakar l'interrompt en souriant.
- Vous me confondez avec un autre,
Monsieur, rectifie-t-il calmement. Mon arrière-grand-père ne s'appelait
pas Augustino Kohomlan Déyélé et il n'était pas de Ouida au Bénin.
Il s'appelait Mamadou Diaby, continue-t-il, et il était de Bamako
au Mali.
- Je sais reconnaître la descendance d'Augustino Kohomlan Déyélé,
dit l'homme. Ton arrière-grand-père me fuyait. Sans doute a-t-il
changé de nom et pris de nouvelles épouses, mais je sais reconnaître
un arbre à ses fruits. Puis il retrousse à nouveau les lèvres
et émet le même ksss agressif.
- Nous sommes du même village, poursuit-il. Mais Si tu ne veux
pas me rendre ce collier, garde-le. Je ne le prendrai pas par
la force.
Puis, sèchement,
il dit à Virginie :
- Madembiselle. Votre sac. Je veux m'asseoir.
Virginie retire son sac avec empressement
et le pose sur ses genoux. Puis l'homme s'installe en face de
Boubak et ne prononce plus un seul mot. Virginie et moi nous nous
regardons en silence. S'il ne veut pas le prendre par la force,
comment va-t-il faire alors ? Et puis qu'est-ce qu'il veut dire
quand il affirme qu'il est du même village que l'arrière-grand-père
de Boubak?
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Cette
histoire a été publiée intégralement
dans le numéro 34 de la revue Les Aventuriers (Janvier
2001) par les éditions Milan.
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